Une possible ouverture diplomatique

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 28 janvier 2021

La vitesse et l’ampleur de la guerre du Karabagh du 27 septembre au 9 novembre ont stupéfié le monde diplomatique. La Turquie a choisi le bon moment psychologique pour frapper. La Russie n’était pas moins intéressée par la guerre, qui permettrait à ses forces de maintien de la paix d’entrer sur le territoire azerbaïdjanais.

Tout au long de la guerre, les États-Unis ont été impliqués dans l’une de leurs élections présidentielles les plus controversées, sans quoi ils se seraient souciés de ce qui se passait en Arménie et au Karabagh. Le secrétaire d’État Mike Pompeo avait lancé une seule phrase sarcastique sur la guerre du Karabagh, déclarant : « Nous espérons que les Arméniens pourront se défendre ».

Le moment était également essentiel à Moscou et à Ankara, car ils souhaitaient tous deux contourner le format du groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui gérait le conflit du Karabagh en ébullition depuis trois décennies.

Maintenant, avec les élections terminées, les États-Unis sont en train de réaligner leurs agendas tant nationaux qu’internationaux. Actuellement, le monde diplomatique rattrape les événements qui ont eu lieu durant la guerre dans le Caucase et ce processus donnera l’occasion à Erévan de répondre à ses doléances et d’insister sur son agenda ignoré par toutes les parties prenantes de la guerre.

Désormais, des déclarations positives sont prononcées à la fois à Washington et dans les capitales européennes, en faveur de l’Arménie. La nouvelle administration Biden a devant lui une assiette politique pleine. Malgré cela, il a déjà abordé la guerre du Karabagh et réitéré son engagement en faveur de la reconnaissance du génocide.

Bien sûr, ces déclarations sont plus des coups de semonce envers Ankara que des récompenses pour l’Arménie.

L’Union européenne s’est également positionnée dans le sens de Washington.

À l’heure actuelle, il incombe à la diplomatie arménienne de faire des heures supplémentaires pour profiter de cette fenêtre ouverte.

Les politiciens qui ont étudié les processus de prise de décision politique antérieures du président turc Recep Tayyip Erdogan peuvent facilement prévoir sa capacité à s’adapter à de nouvelles situations et rendre le rôle politique de la Turquie pertinent pour la politique évolutive du président Joe Biden au Moyen-Orient et dans le Caucase.

Même si l’Arménie faisait preuve de la même flexibilité, sa valeur et son impact ne correspondraient pas à ceux de la Turquie, étant donné le potentiel militaire et le poids politique de cette dernière.

Lors des récentes audiences de confirmation du Sénat, en réponse à la question du sénateur Ed Markey, le candidat au poste de secrétaire d’État Anthony Blinken a réitéré l’engagement de Biden à reconnaître le génocide arménien. Il a également promis de « revoir l’aide américaine en matière de sécurité à l’Azerbaïdjan ».

Cette application de l’article 907 de la loi sur le soutien à la liberté, à laquelle tous les présidents ont renoncé depuis 1992, devrait être une bonne nouvelle pour l’Arménie.

L’ambassadrice américaine en Arménie, Lynne Tracy, a renforcé les déclarations de Blinken dans un article publié le 20 janvier : « Les États-Unis continuent d’appeler au retour rapide et sûr des prisonniers encore en captivité. Nous condamnons les actes d’atrocités liés au conflit. »

Le Parlement européen a adopté une résolution par laquelle il a clairement exprimé sa position sur le conflit du Karabagh. L’article 24 de la résolution déclare: « [Le Parlement] regrette que les changements au statu quo aient été apportés par la force militaire plutôt que par des négociations pacifiques; condamne fermement le meurtre de civils et la destruction des installations civiles et des lieux de culte; condamne l’utilisation signalée d’armes à sous-munitions dans le conflit; demande instamment à l’Arménie et à l’Azerbaïdjan de ratifier sans plus tarder la convention sur les armes à sous-munitions, qui interdit totalement leur utilisation; souligne qu’un règlement durable reste à trouver et que le processus de paix et de détermination du futur statut juridique de la région devrait être dirigé par les coprésidents du groupe de Minsk. »

L’article 38 de la même résolution condamne le rôle déstabilisateur de la Turquie dans le conflit, son assistance militaire à l’Azerbaïdjan et l’utilisation de terroristes sur les champs de bataille.

Les États-Unis et l’Europe ont été exclus du jeu, un jeu contrôlé par la Russie et la Turquie. Les deux coprésidents restants, la France et les États-Unis, ont exigé que leur voix soit entendue, en relançant le format de négociation du groupe de Minsk.

Une fois que le Groupe de Minsk aura réexaminé la question, l’Arménie doit relever le défi actuel pour présenter son programme avec force et clarté. Pour commencer, il doit se concentrer sur la violation par l’Azerbaïdjan des principes fondamentaux du groupe. Le premier principe étant qu’il ne peut y avoir de solution militaire au conflit. Par conséquent, Bakou doit être tenu responsable de son agression.

En outre, à la suite de cette agression, un autre principe a été accompli par défaut: celui de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan. Le dernier principe qui reste à résoudre est celui de l’autodétermination du peuple du Karabagh.

Une fois les coprésidents réunis, l’accent doit être mis sur ce dernier principe, et cela ne se fera pas tout seul.

Déjà, la Russie, par l’intermédiaire du président Vladimir Poutine et du ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, a insisté sur le fait que le Karabagh est un territoire azerbaïdjanais, car Moscou a une solution très claire en tête – offrir sa citoyenneté aux Arméniens du Karabagh pour obtenir le droit demeurer sur le territoire azerbaïdjanais. À l’expiration de son mandat de cinq ans, sous prétexte de « protéger ses citoyens », elle peut elle-même annexer le territoire.

C’est une bataille difficile mais les Arméniens doivent relever le défi et contester l’identité du territoire du Karabagh.

Dire que le Karabagh fait partie du territoire internationalement reconnu de l’Azerbaïdjan est une déclaration politique qui ne peut être soutenue ni par les lois internationales ni par l’histoire. Lorsque Bakou a annexé l’oblast autonome du Karabagh à son territoire en 1989, il a commis un acte illégal. Même lorsque Staline a placé l’enclave sous la domination de l’Azerbaïdjan, il a reconnu l’identité de la région.

Le peuple du Karabagh a obéi aux termes de la constitution soviétique pour demander l’indépendance de l’Azerbaïdjan ainsi que de l’Union soviétique. Mais les arguments les plus solides en faveur de l’indépendance sont les mauvais traitements infligés par Bakou à ses minorités et les pogroms qu’il a lancés contre les Arméniens. Le peuple arménien n’a d’autre choix que de rechercher l’autodétermination et de se séparer de l’emprise du tyran.

Parce que les opinions varient autant, il faudra d’énormes efforts et des compétences diplomatiques pour triompher du problème. L’Arménie est-elle prête à cela ?

Il y aura une compétition entre l’Arménie et la Turquie pour conquérir l’Union européenne et les États-Unis. La Turquie a déjà atténué sa rhétorique, négocie avec la Grèce et envisage de s’engager de la même manière avec Chypre.

Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Çavusoglu, était récemment à Bruxelles pour rétablir les liens qui s’effilochent avec l’OTAN. Bientôt, la Turquie enverra son chapelet d’avocats, de lobbyistes et de diplomates à Washington pour se faire plaisir.

L’économie de la Turquie est en déclin et si les États-Unis appliquent de nouvelles sanctions, l’économie du pays s’effondrera.

La correspondante principale d’Al-Monitor, Amberin Zaman, prédit que « les choses vont devenir plus difficiles dans les relations américano-turques » parce que des questions irréconciliables séparent les parties, telles que la demande d’extradition du dissident Fethullah Gulen par la Turquie, l’achat par la Turquie des systèmes de missiles russes S-400, le soutien américain aux Kurdes syriens (YPG) et en particulier la priorité de Biden pour les questions de droits humains.

Le président Trump avait l’habitude de tolérer le droit de tous les despotes à fouler aux pieds les droits humains de leurs citoyens. Le président Biden change de cap alors qu’Erdogan s’apprête à améliorer les relations avec l’Europe, mais cette dernière y rencontrera également un problème, car les droits de la personne sont une question non négociable pour l’Union européenne. Erdogan a promis un nouvel ensemble de droits pour duper les Européens, mais il ne peut pas aller trop loin dans cette direction car cela pourrait éroder sa base islamique.

La Turquie courtise également Israël pour qu’il demande des grâces à Washington, mais sans réponse jusqu’à présent, parce qu’Israël fait face à de nouvelles élections. En outre, ce dernier a trouvé de nouveaux amis dans la région, alors que jusqu’à récemment, la Turquie était le seul État islamique ami d’Israël.

Maintenant, par le biais des accords d’Abraham, Israël a établi des relations avec les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Maroc et le Soudan, qui seront suivis de l’Arabie saoudite.

De plus, le soutien de la Turquie au Hamas à Gaza n’augure rien de bon pour l’administration de Benjamin Netanyahu.

Un autre élément de l’ouverture turque envers les États-Unis est sa volonté de s’attaquer à l’Iran ou à la Russie, au cas où Washington déciderait de tourner la vis et pourrait avoir besoin de substituts locaux sur le terrain. C’est pourquoi la Turquie exerce ses muscles à Kars, juste en face de la base russe de Goumri, à travers des exercices militaires conjoints avec l’armée azerbaïdjanaise.

Tout au long de ce réseau complexe de questions politiques, l’Arménie doit trouver des accès pour plaider sa cause à Washington et dans les capitales européennes.

Cependant, il semble qu’Erévan commence à relever le défi d’une manière inadéquate. Alors qu’un diplomate chevronné devrait être en poste à Washington en ces temps difficiles, l’administration Pachinian est en train de jouer avec l’idée d’y envoyer Lilit Makunts, une personne sans expérience diplomatique. Makunts est à la tête du parti politique Mon Pas de Pachinian et sa seule expérience antérieure est comme ministre de la Culture. L’ambassadeur actuel aux États-Unis, Varoujan Nersessian, est un diplomate de carrière. C’est une mauvaise décision au mauvais moment de rétrograder la représentation diplomatique dans ce qui est pratiquement la capitale du monde. Malheureusement, cela semble être une habitude avec Pachinian dans le choix de ses cadres pour d’autres ministères également.

Certaines préoccupations ont été soulevées au Parlement concernant la nomination de Makunts. En fin de compte, des têtes plus sages doivent prévaloir pour éviter une blessure auto-infligée à la diplomatie arménienne.

Les groupes de défense arméno-américains joueront certainement un rôle dans le rapprochement de l’Arménie avec l’administration de Biden. Ils peuvent servir de prolongement du bras de politique étrangère de l’Arménie, mais l’Arménie doit s’aider elle-même avant que la diaspora ne puisse lui donner un coup de main. Edmond Y. Azadian 

 

Traduction N. P.