Il est très rafraîchissant d’être en Arménie ces jours-ci, de respirer l’air frais du printemps et de ressentir le bonheur et l’euphorie, palpables un peu partout. Il existe une atmosphère de carnaval. Même les chauffeurs de taxi qui servent de commentateurs politiques bénévoles auprès de leurs passagers ont changé d’air et louent l’amour fraternel et le respect mutuel.
Ils jurent que les gens n’ont jamais célébré une occasion comme celle-ci, ni la déclaration d’indépendance ni la libération de Chouchi, avec autant de jubilation.
Les gens qui connaissent Nikol Pachinian sont heureux et même ceux qui ne le connaissent pas, sont encore plus heureux de la tournure des événements. Ils ont tous envahi Erévan, arrivés des villages et des provinces avec des drapeaux, klaxonnant pour contribuer à la cacophonie qui représente une symphonie pastorale pour grand public.
Le 8 mai restera dans l’histoire arménienne comme le début d’une nouvelle révolution politique qui a commencé dans les rues pour obtenir sa validation législative au parlement national. La session parlementaire s’est très bien déroulée. Certains doutes persistants sur les manœuvres politiques et les machinations dans l’obscurité ont été rapidement dissipés.
Les votes étaient déjà comptés dans les rues pendant les négociations politiques qui se déroulaient au grand jour. Le chef de la faction républicaine du parlement, Vahram Baghdassarian, a annoncé que son parti avait décidé d’accorder 11 voix à Pachinian, ce qui a donné un résultat de 59 voix contre 42. Le nombre requis pour sa victoire était de 53.
Ironiquement, même les 42 votes négatifs peuvent être considéré comme un symbole que la prise de contrôle du gouvernement n’a pas été une capitulation totale.
C’est un cas d’école qui peut rendre très fier chaque citoyen de l’Arménie lorsque la civilité politique est dans notre culture, particulièrement en raison des récentes prises de pouvoir des gouvernements de la région, à l’ère post-soviétique. La Révolution de Maydan en Ukraine a divisé le pays après que le président Viktor Ianoukovitch ait fui Kiev dans une nuit de 2014. La foule a envahi sa résidence et a montré un spectacle hideux de sa salle de bain en or dans les médias.
La Géorgie a connu deux révolutions ; Au cours de la première, le premier président élu de la république, Zviad Gamsakhourdia, s’est temporairement refugié en Arménie pour sauver sa peau, avant de chercher refuge ailleurs. Et plus tard, la révolution des roses de Mikhaïl Saakachvili a réduit le président sortant Édouard Chevardnadze à un cadavre politique.
Bien sûr, les pires scénarios ont eu lieu en Irak et en Libye. Dans le premier cas, la perte d’un million de civils après le changement de régime doit peser sur la conscience de l’ancien vice-président Dick Cheney et de son disciple, le président George W. Bush. Personne ne prend la responsabilité du bain de sang qui se poursuit en Irak depuis les 15 dernières années.
Le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi a souffert le destin tortueux d’Edward II d’Angleterre (1284-1327), une exécution publique sadique et prolongée, grâce à la secrétaire d’État Hillary Clinton, au conseiller à la sécurité nationale Susan Rice et à l’ambassadrice des Nations Unies Samantha Power qui ont forcé leur mission humanitaire sur un président réticent qui souhaitait éviter une nouvelle aventure insensée.
Au vu de tous ces actes politiques atroces, l’Arménie peut enseigner une leçon de rectitude politique aux pays qui souffrent d’incertitude politique.
Avant que les votes ne soient comptés au parlement, quelques membres ont pris le micro. Le message le plus important a été livré par Vahram Baghdassarian, qui cédait le pouvoir à Pachinian au nom du Parti républicain. Son point principal a été que la révolution actuelle avait réduit les valeurs de la société au choix restreint du noir ou du blanc, et qu’une haine a été générée dans les médias d’information et sur les plateformes sociales.
Pachinian a répondu que son but était de mettre fin à toutes les haines en Arménie, puis a remercié tous les partis qui ont voté pour lui au poste de nouveau Premier ministre. Il s’est montré simple et humble et n’a pas exercé son exubérance caractéristique.
Maintenant, les jeux politiques commencent. La constitution ne prévoit que 15 jours pour que le nouveau premier ministre forme son gouvernement et le soumette au président pour approbation. Si le nouveau cabinet n’est pas approuvé, il y aura une deuxième chance. Si, une fois de plus, il n’est pas approuvé, le parlement devra être dissous.
Dans son discours d’investiture, Pachinian a fait allusion à la tenue d’élections anticipées dans un « délai raisonnable. »
Compte tenu de l’atmosphère politique actuelle de l’Arménie, Pachinian peut gagner par simple glissement de terrain. Cependant, le temps est contre lui. À ce stade, son cabinet servira de gouvernement minoritaire. Les cordons de la bourse sont toujours entre les mains du Parti républicain qui compte 55 membres au parlement. Le parti Arménie Prospère de Gagik Tsaroukian, qui a voté en faveur de Pachinian, détient plus de 31 candidats. La FRA (Dachnaktsoutioun) compte sept membres. Il faisait partie du gouvernement de coalition mais a fait défection contre le camp de Pachinian lorsque la victoire de la « révolution de velours » a semblé imminente. Le nouveau premier ministre évaluera certainement la valeur politique de cette défection à mi-chemin.
Des élections en ce moment ne favorisent que le parti de Pachinian, appelé Yelk, qui n’a que neuf élus actuellement au parlement. Le Parti républicain perdra misérablement après la réforme et la politisation du comité central des élections.
Les membres de la FRA au parlement étaient un cadeau offert par le Parti républicain, qui ne se répètera pas lors d’élections équitables.
Avec la victoire de Pachinian, la révolution commence maintenant plutôt que de prendre fin. Les défis sont à venir. Les problèmes actuels ne disparaîtront pas du jour au lendemain, mais il a remporté un capital énorme sous couvert d’unité nationale. Dans ces conditions d’adulation politique, Pachinian peut surmonter n’importe quelle réforme.
Parmi les problèmes auxquels le pays est confronté, il faut souligner :
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Le plafond de la dette nationale, qui s’élève à 7,5 milliards de dollars ;
• La réforme de l’économie, qui a une incidence directe sur l’émigration et la répartition équitable des richesses. Pachinian s’attaquera à la loi sur l’accumulation illégale de la richesse, ce qui aura un impact sur la caste des oligarques. Ironiquement, certains importants oligarques étaient dans le camp Pachinian, et seront pourtant toucher par la loi ;
• Les relations avec la diaspora. La première question est de savoir si le ministère de la Diaspora subsistera. L’ancienne ministre de la diaspora, Hranouch Hakobian, qui n’a principalement agi qu’avec les communautés organisées de la diaspora en sollicitant les honneurs et en distribuant des médailles conservera-t-elle son poste ? Les relations avec la diaspora ont besoin d’une approche plus consciencieuse. L’État doit ressusciter et revigorer son potentiel à l’étranger. À l’exception de quelques initiatives personnelles, rien n’a été fait à un niveau supérieur pour, par exemple, éveiller des Arméniens dormants de Turquie. Les écoles arméniennes du Djavakhk souffrent d’une pénurie d’enseignants et de manuels scolaires, et seuls des vœux pieux ont été exprimés pour les aider jusqu’à présent.
Une importante communauté de 3 à 4 millions d’Arméniens demeure désorganisée en Russie. Une situation extraordinaire est créée dans la région séparatiste de l’Abkhazie, aujourd’hui république non reconnue. En fait, il y a plus d’Arméniens en Abkhazie (30%) que d’Abkhazes, mais le pays est dirigé par ces derniers.
La connaissance de Pachinian de la plus grande diaspora ne s’avère pas être meilleure. Ses discours et ses connexions démontrent que ce qu’il considère être la diaspora se limite à Glendale (Californie), et sa grande proportion d’expatriés.
La politique étrangère est un autre défi qui nécessite une attention immédiate. Le message de félicitations du président Vladimir Poutine et les déclarations rassurantes de Pachinian concernant les relations arméno-russes ne sont pas suffisantes et nécessitent des actions plus concrètes. Les médias russes ne sont pas à l’aise avec cette prise de contrôle et le mécontentement est également en train de mijoter sur le plan national.
Maintenant que Pachinian a réussi sa révolution de velours, il a besoin de cette révolution pour sa vie intérieure.
Dans l’humeur euphorique du moment, rien de moins qu’une ovation debout est considérée comme un sacrilège. Mais, la vérité doit être dite pour que la révolution se maintienne. Sous des slogans d’amour et de respect, il y a une haine rampante envers tout détracteur. Les médias sociaux sont inondés de répliques et d’insinuations. Si cette tendance ne s’arrête pas immédiatement, il y aura certainement un effet boomerang qui blessera les révolutionnaires. La tendance a été établie par Pachinian lui-même, qui a été le lieutenant de Levon Ter-Petrosian. Sa performance comme rédacteur en chef de Haykakan Zhamanak a été loin d’être brillante. S’il ne souhaite pas être sur la touche, une action rapide est nécessaire.
Aujourd’hui, Nikol doit prendre soin de sa révolution interne pour parachever et parfaire sa révolution de velours dans la société arménienne. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.