Alors que le Parlement arménien dépouille le nouveau bureau du président de tous ses pouvoirs significatifs et que les médias et les forces de l’opposition continuent de débattre autour de l’abandon de la citoyenneté britannique d’Armen Sargissian, on se souvient de la chute de Constantinople en 1453 aux mains des forces ottomanes du Sultan Turc Mohamed II. Selon la légende, la capitale est tombée alors que la cour byzantine débattait d’un sujet très important : combien d’anges pouvaient tenir sur la pointe d’une épingle.
Bien que l’histoire puisse servir de métaphore très efficace, on dirait qu’elle est erronée, parce que cette analogie est plus pertinente pour la théologie du 17e siècle et aussi parce que l’empereur byzantin Constantin et ses courtisans luttaient pour sauver leurs vies, alors que les Turcs avaient donné assez d’avertissements en bombardant la ville. À ce jour, il y a peu de preuves sur le sort de l’empereur ; certains croient qu’il a été tué durant les combats alors que d’autres témoins se portent garant de son suicide.
Dans le même ordre, il est intéressant de se rappeler comment l’armée ottomane a réussi à briser les défenses de la ville. Un ingénieur hongrois appelé Urban ou Orban, peut-être ancêtre de l’actuel Premier ministre de Hongrie Victor Orban, qui a remis le meurtrier azéri Ramil Safarov dans les bras tendres du président azéri Ilham Aliev à Bakou, avait conçu un nouveau canon puissant, et l’avait offert au souverain byzantin, qui a refusé de l’acheter par manque de financement. L’ingénieur Orban a alors vendu son invention à l’armée ottomane, où elle a joué un rôle décisif dans sa victoire.
Pour revenir à notre métaphore, alors que l’Arménie est discrètement engagée dans des détails, le monde autour d’elle est de plus en plus inquiétant. Une succession rapide d’évènements ne favorise pas le pays pour le moment.
Le rapprochement russo-turc s’est fait, entre autres, aux frais de l’Arménie. Il a des ramifications absolues. La Turquie, comme puissance importante, peut jouer un rôle d’équilibriste. Son appartenance à l’OTAN est un atout précieux pour l’Occident, qui ne peut se permettre de rompre ses liens, aussi tendus soient-ils. Et en utilisant cette situation comme levier, la Turquie peut se tourner en toute impunité vers les adversaires de l’Occident, à savoir la Russie et l’Iran.
Eli Lake, dans un article dans Bloomberg News, avertit la Turquie que « les États-Unis devraient faire comprendre aux alliés ersatz que la trahison a des conséquences », sans succès.
D’un autre côté, la Russie, qui souffre de la pression de l’OTAN et des sanctions occidentales, pourrait compromettre de nombreuses questions dans le seul but de semer la discorde parmi les membres de l’organisme. Parmi ces compromis il pourrait y avoir le destin de l’Arménie. Les développements indiquent que cela pourrait même être une conséquence involontaire.
Après le discours menaçant d’Aliev, revendiquant Erévan et Sevan, l’Azerbaïdjan est engagé dans un jeu de guerre aux frontières de l’Arménie. Pour apaiser les soupçons, le ministre des Affaires étrangères azéri Elmar Mammadyarov a annoncé qu’après les élections en Arménie et en Azerbaïdjan, des négociations plus concrètes et plus substantielles seront menées. Les experts se demandent s’il s’agit d’une stratégie de guerre ou si Bakou a finalement réalisé qu’il n’y aurait peut-être pas de solution militaire à cet épineux problème.
Le général d’Arménie, Asdvadzadour Petrossian, se demande ce qui se cache derrière les jeux de guerre de l’Azerbaïdjan. « Sous le couvert de jeux de guerre, une concentration de forces peut avoir lieu. Au second plan, il y a la formation de ces forces en préparation d’une éventuelle guerre. Nous ne devrions laisser aucune pierre de côté et être prêts, » a-t-il déclaré.
Dans la foulée de la rhétorique guerrière d’Aliev et du rassemblement militaire proprement dit, une annonce de Moscou rend la situation plus alarmante. En effet, le colonel général russe Anatoli Sidorov, chef de l’état-major allié de l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC), a fait une annonce sévère voulant que le Nagorny-Karabagh ou Artzakh n’est pas membre de l’OTSC; par conséquent, que cet organisme n’a pas l’autorité d’offrir une aide à ce pays en cas de nouvelles opérations militaires.
Pourquoi cette annonce a-t-elle été faite à ce moment précis ? Est-ce une coïncidence ou indique-t-elle une confluence de facteurs vers le développement d’une situation dangereuse ?
Alors que l’Arménie penche vers l’Europe au grand dam de Moscou, cela pourrait servir de message à Erévan.
La Turquie a le pouvoir d’équilibrer les camps opposés, mais l’Arménie a des choix limités pour imiter cette politique.
Le général a également fait quelques remarques concernant les ventes d’armes de la Russie à l’Azerbaïdjan, à la limite du cynisme. Abordant la question du commerce des armes russo-azerbaïdjanais, Sidorov a déclaré qu’il était confiant que l’Azerbaïdjan achète des armes à un autre État si la Russie suspendait ses ventes. Cela étant vrai, que Moscou vende des armes à l’Azerbaïdjan ou non, c’est un énoncé de politique. Et cette politique est évidente pour tout le monde.
Le Président Serge Sargissian a déclaré nuls et non avenus les Protocoles conclus entre l’Arménie et la Turquie en 2009. C’est une question importante si cette action a été coordonnée avec Moscou ou non à la lumière de la coopération russo-turque dans la région sur de nombreuses questions cruciales. La réponse peut aller dans les deux sens. Si elle était coordonnée, Moscou aurait un atout politique supplémentaire de traiter avec la Turquie. Si ce n’était pas le cas, cette démarche aggraverait la situation et conduirait le général Sidorov à faire ses annonces.
La prochaine conférence de la Francophonie à Erévan et les relations intensifiées de l’Arménie avec l’Union européenne, et individuellement avec les pays européens pourraient se développer au détriment de la patience de Moscou envers l’Arménie, qu’elle considère comme un État vassal.
À quel moment la patience de Moscou prendra-t-elle fin et donnera ainsi le feu vert à Bakou pour une nouvelle escarmouche avec l’Arménie ?
Le message de Sidorov a des connotations politiques. Pourquoi faire une déclaration sur une situation évidente ? Et la déclaration semble creuse dans le contexte de l’impasse Arménie-Azerbaïdjan. Il est évident que si la guerre éclate, elle partira du Karabagh et le Karabagh en sera la cause. L’exclusion de ce potentiel dans le partenariat stratégique entre l’Arménie et la Russie est un développement très inquiétant qui jette un voile sombre sur la présence militaire russe en Arménie. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.