Visite historique du ministre des Affaires étrangères Mirzoyan aux États-Unis

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 5 mai 2022

L’isolement diplomatique de l’Arménie, et ses conséquences délétères, a été attribué à sa politique étrangère de longue date uniquement orientée vers l’alignement avec le Kremlin. Compte tenu des déterminants politiques dans le Caucase, Erévan ne pouvait pas façonner et mettre en œuvre une politique multivectorielle indispensable à des pays de sa taille.

Mais les récents changements tectoniques dans le Caucase et la périphérie russe ont offert de nouvelles perspectives, ainsi que certains risques. Avec la guerre russe lancée contre l’Ukraine, l’influence de la Turquie s’est considérablement accrue, tandis que l’Occident a manifesté un regain d’intérêt pour la région, principalement pour saper l’influence de la Russie et finalement la sectionner complètement.

Le mérite a été attribué au président Ronald Reagan et à la première ministre Margaret Thatcher d’avoir fait tomber l’empire soviétique en dupant son chef Mikhaïl Gorbatchev.

Aujourd’hui, c’est une opportunité politique bénie pour l’Occident de poursuivre, et peut-être, d’atteindre un autre programme stratégique en affaiblissant et en démembrant la Russie par une guerre d’usure en Ukraine.

Il semble que l’époque de l’ère Trump soit révolue, alors que le secrétaire d’État Mike Pompeo pouvait cyniquement faire la satire des malheurs de l’Arménie dans la guerre de 44 jours lancée par l’Azerbaïdjan contre elle et le Karabagh, en déclarant : « J’espère que les Arméniens pourront se défendre. » Cette page s’est tournée, le président Biden s’étant engagé à revenir à « la diplomatie perpétuelle au lieu de la guerre perpétuelle ».

L’Arménie est devenue l’une des bénéficiaires de cette politique, son ministre des Affaires étrangères, Ararat Mirzoyan, ayant été chaleureusement accueilli par le secrétaire d’État Antony Blinken, lors de sa visite de travail de quatre jours à Washington du 2 au 6 mai.

Cette initiative fait suite à une nouvelle aventure diplomatique de l’Arménie. Mirzoyan venait de rentrer d’une visite importante en Inde, explorant les voies économiques et de défense avec ce pays. En plus de la connexion de relations séculaires entre l’Arménie et l’Inde, les deux pays se retrouvent dans la même situation, ciblés par un pays islamique fanatique devenu plaque tournante du terrorisme, le Pakistan. Dans le cas de l’Arménie, le Pakistan s’est allié à l’Azerbaïdjan pendant la guerre de 44 jours, tandis que dans le cas de l’Inde, le Pakistan joue un rôle comme celui de l’Azerbaïdjan en recherchant un morceau de sol indien, le Cachemire. Le Pakistan est l’un des rares pays à ne pas reconnaître l’Arménie.

Alors que Mirzoyan est en visite aux États-Unis, le chef du Conseil de sécurité arménien, Armen Grigorian, a rencontré le 2 mai son homologue azerbaïdjanais, Hikmet Hajiyev, pour régler les détails de la mise en place de comités de délimitation et de démarcation. A son tour, le négociateur de l’Arménie, Rouben Roubinian, a rencontré Serdar Kılıç, à Vienne, pour un troisième tour de pourparlers afin de rétablir les relations arméno-turques.

Il y avait un consensus général sur le fait que ces négociations ne se dérouleraient pas sans heurts. En effet, les obstacles s’accumulent, comme lorsqu’Ankara s’est engagée à mener des négociations sans conditions préalables et a pourtant relégué ses conditions déguisées à Bakou, qui a proposé un ensemble de conditions en cinq points pour signer un traité de paix avec l’Arménie.

Juste à la veille du troisième cycle de pourparlers entre l’Arménie et la Turquie, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Çavusoglu, a émis l’idée que les frontières séparant les deux pays devaient être discutées. Il s’agit d’une référence indirecte au traité de Kars de 1921, qui désignait cette frontière, et que l’Arménie refuse de reconnaître et de ratifier.

Alors que l’Arménie lance son offensive diplomatique pour tendre la main à l’Occident et à l’Inde, la fenêtre d’opportunité se referme sur le potentiel d’exploiter les pays du Moyen-Orient, car la Turquie a déjà réparé ses clôtures avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis et travaille activement à faire de même avec l’Égypte et Israël.

La visite de Mirzoyan à Washington pourrait être considérée comme une percée car elle a déjà atteint ses principaux objectifs ; la relance du dialogue stratégique entre l’Arménie et les États-Unis et la signature d’un protocole d’accord sur l’utilisation civile de l’énergie nucléaire, qui diversifiera les ressources pour les besoins énergétiques de l’Arménie.

Outre toutes les subtilités diplomatiques, qui semblaient extrêmement cordiales, Mirzoyan a souligné les questions les plus cruciales en soulignant « le rôle important que jouent les États-Unis en tant que coprésident du groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) », qui a un mandat de la communauté internationale pour faciliter le règlement pacifique du conflit du Haut-Karabagh.

Il a également remercié Blinken pour la reconnaissance par l’administration Biden du génocide arménien. Une semaine avant cette visite, Blinken avait fait les remarques suivantes lors d’une audition devant la commission des relations étrangères du Sénat américain : un règlement politique à long terme concernant le Haut-Karabagh.

Au cours de la même session, il avait également mis en cause les actions unilatérales de l’Azerbaïdjan qui, selon lui, « enveniment » la situation.

C’est un changement bienvenu dans la position américaine, étant donné que les remarques passées ne ciblaient pas le coupable, laissant l’Azerbaïdjan s’en tirer malgré ses provocations répétées. Ces propos sont également très significatifs compte tenu du fait que le président Ilham Aliev proclame qu’il n’y a plus de conflit au Karabagh, puisqu’il a déjà résolu le problème par la force. Cela laissera également tomber la balle dans le camp de l’Occident, puisque Moscou a déjà affirmé que le Karabagh était un territoire azerbaïdjanais.

  1. Mirzoyan a également rencontré Samantha Power, directrice de l’Agence américaine pour l’aide internationale (USAID) et au moment d’écrire ces lignes, il devait rencontrer la directrice principale pour l’Europe au Conseil de sécurité nationale, Amanda Slot et d’autres collègues, et terminer la visite en prononçant un discours au Conseil de l’Atlantique et en rencontrant quelques législateurs clés.

Certaines personnes pensent que cette percée a été rendue possible par l’ambassadrice Lilit Makunts, donnant raison à ceux qui avaient mis en doute ses talents de diplomate.

La visite de Mirzoyan a apparemment créé une certaine nervosité au Kremlin, puisque le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a appelé à tenir une réunion trilatérale avec la Russie et l’Azerbaïdjan le 13 mai au Kirghizistan, en marge de la réunion de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC). En revanche, une chaîne de télévision pro-Kremlin, Russia 24, a diffusé des images des manifestations de l’opposition en Arménie, accompagnées d’extraits des manifestations du 1er mai à Paris et à Berlin, bien plus violentes que celles d’Arménie.

Incidemment, on pourrait s’interroger sur le moment des rassemblements de l’opposition, alors que l’Arménie négocie avec ses ennemis et partenaires internationaux, ayant des questions existentielles à l’ordre du jour.

Ces manifestations peuvent devenir une bénédiction déguisée si le Premier ministre Nikol Pachinian les utilise comme monnaie d’échange avec l’Azerbaïdjan, indiquant qu’il a une puissante opposition nationale à gérer sur la question du Karabagh, et ainsi gagner du temps.

Alors qu’Aliev menace l’existence même de l’Arménie en tant qu’État souverain, la seule option dont dispose cette dernière à l’heure actuelle est la tactique consistant à retarder la signature de tout traité de paix jusqu’à ce que sa diplomatie porte ses fruits et qu’elle puisse reconstruire ses forces armées.

À l’heure actuelle, les coprésidents du Groupe de Minsk de l’OSCE sont désespérément divisés. Mais avec le regain d’intérêt des États-Unis et de la France, la question pourrait entrer dans une phase concurrentielle entre la Russie et ses homologues. Moscou a fait valoir son point de vue sur la question et le gel du règlement du Karabagh assurera sa présence militaire sur le territoire azerbaïdjanais, aussi longtemps que l’intérêt stratégique de Moscou l’exigera.

 

Il s’agit d’un jeu de pouvoir primordial dans lequel l’Arménie n’a aucune influence, bien que son destin et l’avenir du peuple du Karabagh dépendent de l’issue de ce bras de fer.

L’opposition parlementaire a organisé des rassemblements avec des slogans demandant à Pachinian de cesser de livrer le Karabagh à l’Azerbaïdjan, alors que le contrôle de cette enclave n’est pas entre les mains de Pachinian mais entre les mains de la Russie. C’est pourquoi, peut-être, les rassemblements de l’opposition promis de culminer le 1er mai n’ont pas pris de l’ampleur, malgré le fait qu’ils ont utilisé une page du propre manuel de Pachinian pour réveiller les masses. Les manifestations et les actes de désobéissance civile actuels ne peuvent guère égaler les foules que Pachinian avait galvanisé en 2018. Selon les estimations du groupe Informed Citizens, un parti pro-gouvernemental, les participants n’étaient pas plus de 12 500, tandis que les revendications de l’opposition ont publié le nombre à 40 000 et plus. La vérité se situe quelque part entre les deux.

La direction de l’opposition semble divisée, malgré le fait que les anciens présidents Robert Kotcharian et Serge Sargissian se sont unis. Un leader charismatique n’a pas encore émergé. Leurs slogans sont flous, tandis que Pachinian, lorsqu’il ralliait ses partisans, a créé un problème et un slogan de pain et de beurre. En effet, à côté de la rime « Merjir Serjin », traduit par « rejeter Serge », Pachinian a affirmé qu’il exproprierait la richesse des oligarques à plusieurs reprises, au point que les gens ont commencé à croire qu’au lendemain de la révolution de velours, la classe privilégiée des oligarques serait dépouillée de sa richesse, qui reviendrait à la nation – c’est-à-dire dans les poches des gens ordinaires.

À l’heure actuelle, l’équipe inexpérimentée de Pachinian a besoin d’un soutien interne pour être en mesure de faire face aux défis internationaux auxquels elle est confrontée et de tirer parti des développements récents.

Une maison divisée ne peut que tomber. Edmond Y. Azadian

 

Traduction N.P.