“Tebi Yerkir ! ” ( littéralement “Vers le pays !”) Ce slogan qu’avait lancé en 1991, dans la fébrilité d’une période de transition porteuse d’espérances, le Parti dachnkatsoutioun à l’attention des Arméniens de la diaspora, qu’il appelait à retourner dans leur « mère patrie » l’Arménie, qui accédait enfin à cette indépendance pour laquelle il avait milité 70 ans durant, n’a guère été entendu alors ; seuls quelques téméraires ont bravé les conditions difficiles de la guerre avec l’Azerbaïdjan et les pénuries générées par le blocus pour y répondre. Curieusement, le président arménien Serge Sarkissian l’a repris à son compte, alors que l’Arménie célèbre le 26e anniversaire de son indépendance, en lui donnant des accents plus dramatiques, puisqu’il appelle les Arméniens de la diaspora à repeupler une « mère patrie » désertée par grand nombre de ses habitants en raison de difficultés économiques persistantes, qui ont provoqué une véritable saignée démographique désignée depuis plusieurs années déjà comme un drame national par plusieurs spécialistes et responsables de l’opposition locaux.
Le président arménien a mis à profit la tribune de la 6e conférence Arménie-diaspora, cette rencontre annuelle des autorités de l’Arménie avec plus d’un millier de représentants de la diaspora, réunis à Abovian en amont des cérémonies de l’anniversaire de l’indépendance, pour tirer à son tour la sonnette d’alarme sur cette question cruciale, qui engage l’avenir d’un pays dont la croissance démographique est en chute libre et qui comptera moins d’habitants à l’horizon 2050 que n’en comptait l’Arménie soviétique en accédant à l’indépendance, si le processus n’est pas inversé d’ici là. Dans un long discours prononcé le lundi 18 septembre, le président Sarkissian a tablé quant à lui sur une population de 4 millions d’habitants en Arménie à l’horizon 2040, et a sollicité la diaspora dans cet objectif. Il a promis que le gouvernement arménien encouragerait les Arméniens de la diaspora à s’installer dans leur patrie historique, dans le cadre de ses efforts pour régler les problèmes démographiques auxquels elle fait face. Dans cette perspective, il a appelé les organisations arméniennes de la diaspora dont nombre de représentants étaient présents dans la salle accueillant la conférence à Erevan, de contribuer à cet effort, non sans souligner la nécessité de renforcer les investissements en vue de consolider l’économie arménienne.
Il n’est pas sûr toutefois que l’appel du président Sarkissian sera plus entendu que celui lancé au début des années 1990, et que la diaspora, qui peine déjà à se mobiliser pour soutenir l’économie arménienne, l’aidera physiquement à régler la question démographique. Si elle peut jouer un rôle certain, par sa contribution économique et sociale, et encore aujourd’hui humanitaire hélas, pour permettre que les Arméniens restent dans leur pays et pour freiner ainsi l’hémorragie de l’exode qui a dépeuplé ses régions, il est peu probable que cette diaspora, forte dit-on de 8 à 9 millions d’individus, constitue un vivier humain à même de le repeupler. C’est au gouvernement arménien qu’il revient de collaborer plus étroitement avec la diaspora en ce sens, en vue de créer des conditions politiques, économiques et sociales plus attractives, notamment en terme de démocratie, susceptibles alors, éventuellement, de donner l’impulsion vers ce « retour au pays » qui relève, à ce jour, du fantasme et de l’incantation.
L’ironie voulait qu’au même moment, étaient publiés les chiffres faisant état d’un ralentissement très net du flux des Arméniens en provenance de Syrie. Phénomène exceptionnel dû à des circonstances dramatiques, l’arrivée de quelque 13 000 Arméniens de Syrie, chassés principalement d’Alep par la guerre civile qui ravage ce pays depuis 6 ans, constituait la seule immigration massive en Arménie depuis l’indépendance, si l’on excepte les Arméniens chassés d’Azerbaïdjan par les pogroms, dont une bonne partie a d’ailleurs suivi les habitants d’Arménie attirés par un travail en Russie le plus souvent, d’où ils envoient de précieuses devises aux familles restées au pays. Les autorités d’Arménie, mais aussi du Karabagh, se sont employés à accueillir ces réfugiés syriens, avec leurs faibles moyens, et sans aide extérieure ou presque. Mais alors que, sous l’effet de la trêve imposée par la Russie à Alep, une paix fragile a été restaurée dans la 2e ville de Syrie abritant la plus importante communauté arménienne du pays qui s’y était établie après le génocide de 1915, les liaisons aériennes rétablies entre l’Arménie et la Syrie semblent fonctionner plus volontiers dans le sens inverse, celui du retour… qui tenterait un nombre croissant d’Arméniens d’Alep, qui n’ont pu se faire une place au soleil d’Arménie !