Arménie-Artsakh-diaspora : faire face aux grands défis de la prochaine ère

Écrit en arménien par le Dr. Arshavir Gundjian et publié dans ABAKA hebdomadaire.

 

Dans des conditions normales et différentes, il serait banal de consacrer du temps, au début d’une nouvelle année, à examiner de manière impartiale et sans faille les événements de l’année écoulée, tant ses réussites que ses échecs, ne voulant pas voir ces derniers se répéter.

Mais cette fois, la situation est bien plus grave. La partie informée de l’ensemble de la population arménienne du monde entier, qu’elle soit en Arménie, expulsée de force de l’Artsakh, ou en diaspora, est aujourd’hui confrontée à une obligation d’auto-examen bien plus urgente et plus lourde. En effet, l’année orageuse que nous venons de terminer, et surtout ses derniers mois désastreux, ont ébranlé notre nation tout entière jusqu’à ses racines.

Pour un Arménien conscient, ce n’est pas une année qui s’achève, mais toute une ère de circonstances des plus amères. Cette époque a commencé à la veille du génocide et s’est poursuivie pendant tout un siècle. Au cours de son évolution, les restes dispersés de la nation arménienne ont traversé les étapes les plus graves de la lutte pour sa survie. Au cours des sept décennies du régime soviétique, grâce à la paix intérieure créée par la force, l’Arménie a été relancée et est entrée dans les rangs des pays civilisés et avancés. Au cours de ces soixante-dix années, malgré les conditions difficiles créées par un régime dur, notre peuple vivant en Arménie a créé des arts, des sciences et une culture dignes de fierté nationale, ainsi qu’une main-d’œuvre intellectuelle au plus haut niveau mondial dans tous les domaines, ce qui a insufflé de la fierté à tous les Arméniens du monde, y compris ceux qui étaient opposés au régime en place. À cette époque, les revendications du peuple arménien concernant nos « terres intérieures confisquées » se sont transformées en un mouvement national de protestation juste.

Lorsque soudain et indépendamment de nos moyens limités, l’occasion s’est présentée de rendre enfin l’Arménie politiquement indépendante, les Arméniens du monde entier ont cru que le moment idéal était arrivé pour rendre leur patrie encore plus prospère. En effet, la République indépendante d’Artsakh a été créée par le mouvement héroïque de l’Artsakh, alors que de nombreux cercles de la diaspora arménienne croyaient que la patrie qui deviendrait un véritable point d’ancrage durable, voire éternel, pour les Arméniens, avait été créée.

Alors que tout cela se déroulait dans la patrie, à l’honneur de la diaspora arménienne, cette communauté de plusieurs millions de sans-abris née du génocide, sans aucun moyen de sécurité, au lieu d’être simplement pulvérisée et dissoute dans l’immense océan d’aliénation du monde, a réussi, en accomplissant l’impossible. Au cours des nombreuses décennies mentionnées ci-dessus, de nombreuses communautés diasporiques exceptionnellement prospères ont été créées, chacune dotée de structures religieuses, culturelles et de partis politiques nationaux. C’est un incroyable miracle. Il est nécessaire de souligner ici qu’au cours de ces décennies, le fondement et la force spirituelle de ce merveilleux développement ont été la brillante réalité de l’existence d’une patrie et de la profonde confiance de la diaspora quant à son avenir.

Pourtant aujourd’hui, le monde arménien est profondément ébranlé. Après avoir vécu la dernière période de catastrophe nationale, il est désormais évident que la condition des Arméniens, qui étaient auparavant considérés comme étant dans une « renaissance nationale », présente de graves fissures et des faiblesses structurelles, au point d’être fatales. C’est certainement à cause de ces principales faiblesses, qui se sont combinées que les Arméniens sont arrivés, en peu de temps, à leur état actuel, écrasés, pitoyables et abasourdis.

En effet, alors que l’Arménie se trouvait dans son état d’impuissance sans défense, un impitoyable rouleau compresseur militaro-politico-diplomatique international l’a simplement écrasée et est passée dessus !

La préoccupation la plus alarmante et la plus dangereuse d’aujourd’hui est que l’ensemble de la communauté arménienne est non seulement stupéfait, mais également dans un état de confusion.

Je résumerai la situation générale comme suit.

Incroyablement, l’Artsakh a été vidé en quelques heures de ses plus de cent mille habitants, qui y vivaient depuis d’innombrables siècles. L’Arménie elle-même est en insécurité et saigne à ses frontières, sous la patte de l’ennemi juré. D’un côté, à pas incertains, elle fait des efforts hésitants pour survivre, tandis que de l’autre, impuissante, elle assiste à l’afflux d’un peuple désespéré qui l’affaiblit. Les Arméniens de la diaspora sont des spectateurs impuissants face à cette triste réalité, dans un état collectivement désorganisé.

En cette période dramatique, nous devrions tous, chers compatriotes, procéder à un sérieux examen de conscience. Avec une approche profonde, audacieuse et sincère, nous devrions rechercher et trouver les principales raisons de notre état de pauvreté actuel. Ensuite, nous devrions avoir le courage de mettre en œuvre les mesures de réorganisation nécessaires et fondamentales, qui peuvent à nouveau conduire les Arméniens du monde entier au redressement dans les mois, années et décennies à venir. La nouvelle renaissance souhaitée doit reposer sur des ancrages pratiques, diplomatiques, stratégiques et économiques stables.

La question la plus importante est de savoir comment entreprendre ce travail collectif titanesque et urgent. J’offre une invitation ouverte à tous les Arméniens, afin que nos intellectuels dans divers domaines se sentent moralement obligés et libres de proposer des réponses à cette difficile question.

Politologues, diplomates, économistes, sociologues, scientifiques et experts militaires doivent tous participer à ce travail vital qui nécessite une participation à l’échelle nationale. Cette énumération de divers domaines montre à elle seule qu’un travail d’une telle envergure nécessite avant tout le régime de travail actuel en Arménie comme principal participant et organisateur. À cette fin, ces derniers devraient créer un organisme qui inspire confiance : en d’autres termes, avec la participation des résidents arméniens et ceux de la diaspora, créer un département ou ministère professionnel de stratégie nationale.

Nous n’avons, par conséquent, d’autre choix que d’attendre cette étape importante et espérer que nous commencerons bientôt à recevoir des réponses à ce défi.

Cependant, je prendrai l’initiative d’énumérer et de décrire de manière très générale les profondes faiblesses et fissures de nos structures nationales actuelles, qui, à mon avis, sont les principales raisons pour lesquelles notre pays a été si faible au cours de la période écoulée sur la scène internationale et a été incapable de montrer une réelle résistance aux terribles complots fomentés contre lui.

Le premier et le plus grand échec est un honteux manque de préparation diplomatique et militaire menant, comme conséquence, à la perte de l’Artsakh. Alors qu’il y a trente ans, cette partie indissociable de l’Arménie historique vieille de plusieurs siècles avait retrouvé son indépendance, elle est aujourd’hui complètement perdue.

Il est tout aussi répréhensible, incroyable et honteux qu’à la veille de cette perte, jusqu’à aujourd’hui, aucun plan arménien significatif n’a surgi à l’horizon pour entreprendre une contre-attaque appropriée et tenter de reprendre le contrôle de ce que je considère comme une richesse humaine, culturelle et nationale incalculable. En quelques heures, l’Artsakh a été détruit et se trouve aujourd’hui entre les mains prédatrices de l’ennemi.

Les autorités actuelles sont autant responsables de la perte de l’Artsakh que les soi-disant « anciennes » des trois dernières décennies. Notre nation a des raisons d’être profondément préoccupée, surtout lorsque son dirigeant actuel est celui qui, le premier, a calmement annoncé au monde que « l’Artsakh est l’Arménie, point ! », puis, à peine quelques mois plus tard, sans sourciller, a admis que « L’Artsakh est l’Azerbaïdjan, point ! ».

Un autre échec tout aussi grave et impardonnable est que l’Arménie, exceptionnellement avancée sous le régime soviétique dans les domaines de la productivité scientifique et militaire, ainsi que dans les domaines de la production d’armes militaires, après trois décennies d’indépendance et sous la direction de divers gouvernements, est tombée à un niveau si faible qu’elle a d’abord subi une défaite honteuse dans la guerre de 44 jours, et quelques années plus tard, n’ayant eu recours à aucune mesure correctrice, cette fois-ci a non seulement perdu complètement l’Artsakh, mais a également perdu des parties importantes de l’Arménie elle-même. Aujourd’hui, dans un État appauvri, l’Arménie, comme seul moyen de sa sécurité, essaie de s’appuyer sur un document appelé « Traité de paix », sachant pertinemment qu’un tel morceau de papier n’a aucune valeur pour son voisin hostile. En effet, l’ennemi qui négocie face à face avec l’Arménie, publiquement et en toute impunité, qualifie l’Arménie vieille de plusieurs siècles d’« Azerbaïdjan occidental ».

Sans une solide préparation militaire, un tel document n’a aucune valeur.

Le prochain grand échec national est l’état d’incompétence du monde arménien et en particulier de l’Arménie dans le domaine de l’information internationale. Au cours des trente dernières années, elle s’est montrée incompétente à créer de manière convaincante l’opinion publique concernant ses droits et ses revendications équitables. Les Arméniens du monde entier, et en particulier en Arménie, ne disposent pas d’un seul réseau d’information de niveau et de capacité internationaux. Parmi les priorités communes de l’Arménie et du monde arménien figure l’importance de combler ce grand manque. En effet, au fil des ans, outre les pertes physiques tragiques, ce fut pour nous une expérience psychologique encore plus amère lorsque la presse internationale mal informée appelait continuellement les Arméniens d’Artsakh, qui sont les véritables propriétaires de leur pays : « des séparatistes » qui étaient censés être des terroristes qui ont démembré le « pauvre Azerbaïdjan ». La diaspora dispose d’un grand potentiel inexploité, notamment en ce qui concerne la création d’une presse internationale pro-arménienne.

La liste de ces échecs peut certainement être allongée, mais comme dernier échec capital, je mentionnerai la pitoyable incapacité collective de la diaspora elle-même, car malgré son grand potentiel, elle est demeurée dans la position d’un spectateur impuissant alors que sa patrie était clairement découpée en morceaux dans le cirque international. Même si, au fil des années, de nombreuses communautés et organismes dotés d’énormes capacités humaines, intellectuelles et matérielles ont été créées au sein de la diaspora arménienne, dans la pratique, leur capacité collective et donc leur utilité stratégique nationale se sont révélées n’être guère plus que rien. La raison de ce résultat incroyablement médiocre en tant que collectif est sans aucun doute son état fondamentalement non coordonné et donc désorganisé. Il est certain que des dizaines d’organisations ecclésiales, caritatives, culturelles, éducatives, professionnelles et autres, souvent de grande capacité, au fil du temps, au lieu de se renforcer progressivement de manière coopérative, sont au contraire devenues des unités séparées et non coordonnées. Chacun d’entre eux essaie de se justifier par son activité particulière, sans même chercher à se comparer aux autres organismes opérant dans son quartier. Cette situation est simplement un gaspillage de main d’œuvre, de matériel et d’autres ressources.

Au risque de se répéter, l’auteur voit une exigence urgente de créer une structure logique et réalisable avec une initiative du pays et avec la participation des membres les plus importants de la diaspora qui créerait la possibilité d’une activité coordonnée. En effet, c’est une pure illusion que de répéter sans cesse que « si l’Azerbaïdjan est riche en pétrole, l’Arménie est riche en diaspora ». Divers obstacles psychologiques doivent être surmontés pour qu’une initiative aussi importante réussisse.

Cela vaut vraiment la peine d’accomplir ce travail. C’est une condition du succès que l’initiative démarre avec les autorités de la République, mais il est tout aussi important que les patriarches de l’Église arménienne ainsi que les dirigeants des organisations caritatives, culturelles et politiques apportent leur bénédiction ou leur coopération sans faille.

En conclusion, et revenant au titre de cet article, qui est un défi national, pour que l’Arménie, l’Artsakh et la diaspora – le collectif national arménien – puissent sortir honorablement de l’état actuel de stupéfaction et de confusion, il est nécessaire que le gouvernement actuel d’Arménie, les dirigeants des différents courants intellectuels et politiques qui y opèrent, les autorités suprêmes de l’Église apostolique arménienne et les chefs des structures les plus importantes de la diaspora, fassent tous preuve de capacités et de maturité à la mesure des postes qu’ils occupent.

C’est l’avenir de notre nation qui donnera une évaluation juste et stricte de la contribution que chacun des susnommés apportera à cette mission nationale extrêmement importante.

 

Note : L’auteur, outre son parcours professionnel de scientifique, est l’un des dirigeants de longue date de la diaspora arménienne. Il est actuellement président du Conseil central de l’Association culturelle Tékéyan des États-Unis et du Canada. Durant plus de dix ans, il a été président du Comité central du Parti libéral démocrate arménien. Il a été vice-président de l’Union générale de bienfaisance arménienne pendant dix ans. Il est le fondateur et actuellement président honoraire du Conseil diocésain du Canada de l’Église arménienne. En plus des nombreux titres honorifiques qui lui ont été décernés en relation avec ce qui précède, il a reçu, il y a quelques années, le titre de membre de l’Ordre du Canada, la plus haute distinction civile du pays.

 

Traduction N.P.