Bazinyan, armée et Arménie aimée

Erik Bazinyan avait 16 ans quand sa famille a quitté l’Arménie. Il va se retrouver en finale au Casino jeudi soir.

Le JOURNAL De MONTREAL
RÉJEAN TREMBLAY

 

Si vous voulez comprendre ce qu’est l’Arménie et surtout les méandres et soubresauts de sa grande histoire, attelez-vous.

C’est un petit pays, grand comme le Saguenay–Lac-Saint-Jean qui a été attaqué, envahi, déchiré, qui a connu un brassage de populations et d’ethnies à confondre le plus grand des historiens.

L’Arménie, c’est Charles Aznavour et Richard Tarzi. De leurs vrais noms Aznavourian et Tarzian.

L’Arménie, c’est la guerre il y a deux ans contre l’Azerbaïdjan…

Et l’Arménie, c’est le jeune boxeur Erik Bazinyan qui va se retrouver en finale au Casino jeudi soir. Avec un rêve encore plus fort, plus vibrant que de devenir champion du monde. Pouvoir retourner en Arménie pour retrouver ses grands-parents et ses cousins restés à Erevan, la capitale.

 

FOUTU SERVICE MILITAIRE

 

Le Québec s’invente des guerres. On s’est tous fait dire que nous étions en guerre contre la COVID-19. Et que notre mitraillette était le vaccin.

Mais la vraie guerre, celle que subissent les Ukrainiens et qui atteint même nos amis russes à Montréal, la guerre qui a déchiré dix fois, cent fois l’Arménie, c’est une autre affaire.

Erik Bazinyan avait 16 ans quand sa famille a quitté l’Arménie.

« C’était l’aboutissement de plusieurs années d’efforts de mes parents. Ils avaient même appris des rudiments de français pour pouvoir s’installer au Québec. Quand le grand jour est arrivé, on est partis pour Montréal. Pour une nouvelle vie », raconte Bazinyan.

Sauf qu’on avait oublié un détail. Tout homme adulte détenant la nationalité arménienne est tenu de faire son service militaire dans son pays. Même quand il commence à faire de la boxe à Montréal.

C’est comme ça dans un pays qui est obligé de se battre pour sa survie depuis le début des temps.

 

L’ARMÉNIE DANS SON CŒUR

 

Évidemment qu’Erik est tombé amoureux. Il a fréquenté la magnifique église orthodoxe arménienne avec des toiles fabuleuses des peintres Tatossian et Aslanian sur les murs. Il s’est marié et a eu des enfants. Tout ça pendant qu’il était encore en âge de faire son service militaire.

Finalement, malgré sa belle carrière et sa vie au Québec, l’Arménie l’a placé sur la liste des déserteurs. Il ne pouvait plus retourner dans son pays natal. Celui qu’il porte dans son cœur avec le Québec.

Il a écrit des dizaines de lettres au gouvernement arménien. Il a payé des avocats. Il a écrit des textes magnifiques sur les réseaux sociaux pour défendre sa cause. Clamant son amour de l’Arménie. Rien à faire.

« Ils allaient à la maison de mes grands-parents, ils me contactaient. J’ai tenté de leur expliquer à quel point je parlais en bien de l’Arménie, comment je portais le drapeau du Québec et de l’Arménie dans mes grands combats, ce n’était pas assez. Puis, ils ont convenu que les grands artistes et les athlètes olympiques pourraient obtenir une exemption ou un pardon. Comble de malheur, la boxe professionnelle n’a pas été inscrite dans les critères », décrit Bazinyan avec émotion.

« Cela a été une atroce déception. Ça m’a brisé le cœur », dit-il.

 

ENFIN… À 27 ANS

 

Et la guerre d’il y a deux ou trois ans n’a rien fait pour améliorer les choses. Finalement, le gouvernement a décidé qu’un homme qui atteignait ses 27 ans et qui répondait à certains critères pourrait retourner dans son pays sans se retrouver en prison pour désertion s’il payait une amende et s’il était parrainé.

C’est le ministre de la Culture et des Sports qui a accepté d’appuyer la candidature de Bazinyan. La recommandation est déjà rendue au parlement et tout indique qu’après son anniversaire, le 21 mai prochain, Bazinyan va pouvoir aller visiter la famille. Son visage s’éclaire quand il en parle.

C’est en juin qu’il va enfin fouler le sol de la terre de ses racines. Je pense même que ses billets sont déjà achetés.

Faut juste s’assurer que Vladimir Poutine n’a pas un contentieux à régler avec l’Arménie…

 

DEUX AUTRES VICTIMES: MAKHMUDOV ET BETERBIEV

La guerre en Ukraine a fait d’autres victimes collatérales hier. Arslanbek Makhmudov a perdu son classement WBA… parce qu’il est Russe.

Artur Beterbiev ne pourra défendre ses titres mondiaux… parce qu’il est Russe.

Pourtant, les deux hommes vivent à Montréal avec leur famille. Ils payent leurs impôts au Canada, et aux dernières nouvelles, ils étaient de bons citoyens.

Ils sont des victimes. Il est évident qu’en les dépouillant de la sorte, les fédérations internationales de boxe espèrent faire pression sur Vladimir Poutine. Les joueurs de hockey vont subir le même sort, ça s’en vient sans doute.

Il va sans dire que les fédérations ont dû subir de très fortes pressions de la part des gouvernements occidentaux qui tentent de rendre la vie intenable au président Poutine et de l’obliger à négocier une façon de mettre fin à ce carnage qui révolte la planète.

Tant que ça ne le poussera pas à appuyer sur le bouton rouge…

 

DANS LE CALEPIN 

Jean-Charles Lajoie a mené de main de maître une entrevue avec le hockeyeur montréalais Eliezer Sherbatov qui s’est enfui de la zone de guerre en Ukraine au péril de sa vie. Mais on parle de vrais périls… d’un film à la James Bond sans les espionnes sexy. Un récit fascinant.

 

Bravo Jean-Charles.

 

Photo caption:  Erik Bazinyan avait 16 ans quand sa famille a quitté l’Arménie. Il va se retrouver en finale au Casino jeudi soir.